Comme du Sable
Après le Crash – « Comme du sable » (théâtre)
4 avril 2013
Il y a quelque chose de la basse fidélité au sens musical du terme dans ces fragments pour neuf comédiens. Une manière d’exposer en mode mineur et débranchée une crise majeure ou chacun n’attend plus que les vacances. Publicité supermarché, spoliation. La vraie trinité du monde selon Sylvain Levey, qui malgré quelques facilités livre un joli texte de circonstance. L’intention de rendre compte de ce désarroi sur scène est presque sentimentale ou au moins tendre avec ces perdants, ces mis de côté, ces aliénés dans leurs propres illusions. Tout semble raté. Jusqu’à l’oppression. La rue, désertée par les voisins eux mêmes, marionnettes qui ont perdu le fil. Maisons, attirail électroménager, tout est dans le trou suite au crash que l’on sait. « Comme dus able » est toujours mouvant, donc vivant. On y danse, on y chante on y tempête un peu contre cette humanité fatiguée qui se croit infatigable et ses foules maltraitées qui se croient intraitables. Le décor est nu jusqu’au cintres mais les effets plastiques ne manquent pas, certains très convaincants. Il y a du jeu entre la scène et le spectateur, histoire de respirer et se trouver un équilibre entre un discours concret du réel et des formes recherchées dénuées de pose. Les comédiens sont justes et la mise en scène très précise de Pascale Daniel-Lacombe ne laisse personne de côté. On n’est pas pris en otage mais on se retrouve secoué plusieurs fois cependant par ce tragicomique cohérent qui commence par un baiser et s’acheve sur un « qui vivra verra » bien menaçant.
Joël Raffier
Echophonie au TNBA « Comme du Sable »
Si « le baiser » de Doisneau, cliché en noir et blanc pris dans les années cinquante, a fait le tour du monde, véhiculant l’image harmonieuse de ces deux amoureux s’embrassant avec tendresse près de l’Hôtel de Ville, le baiser inaugural imaginé par Sylvain Levey et mis en scène par Pascale Danièle-Lacombe est porteur d’un tout autre message : loin de se vouloir lénifiant, il est annonciateur de remous chaotiques. Sur une scène encombrée (plus que meublée) de structures aux angles vifs, un homme et une femme échangent aussi un long baiser liminaire, sans arrière pensée, presque tendrement. Mais devant eux, autour d’eux, le monde. Le monde tel qu’il est avec ses aspérités, ses rugosités, ses tensions palpables. Ici, point de courbes harmonieuses, point de cercles où l’on pourrait se réfugier pour se tenir à l’abri des trépidations contemporaines et de leur rythme infernal. Là, tout n’est que lignes de ruptures, tout n’est que débris épars qui s’accumulent au gré des remous d’existences traversées par des perturbations actives. Ce n’est pourtant pas une cacophonie à laquelle, médusé, on assiste. Ce serait beaucoup plus juste de parler d’ « échophonie » tant les huit acteurs sur scène prêtent indistinctement leur voix à cette parole performative qui commente, sans jamais faiblir, les gestes et actes du quotidien qui agitent en tous sens les hommes et femmes, prisonniers du plateau. Ces personnages, d’une banalité sans âge, sont plus « agis » par les événements de leur vie qu’ils les déterminent eux-mêmes. Interchangeable, leur histoire l’est aussi. Les comédiens se feront donc tour à tour les porte-voix des uns et des autres, qui, pris dans ce maelström tourbillonnant, perdent leur identité singulière, faisant qu’ils se confondent dans la même humanité privée d’elle même. Et, comme pour mieux mimer le manque de relations binaires, ils regarderont (presque) toujours le public, leur regard ne reconnaissant pas l’autre comme une singularité distincte. Fragments de vie d’existences elles-mêmes fragmentées, fractionnées, morcelées, désagrégées. Echo lointain du vers d’Apollinaire dont les éléments auraient été intervertis par la violence du choc : « Et leur rire s’est brisé comme un éclat de verre ». En effet, de ces existences malmenées, le rire et l’insouciance ont fui ; ne restent que des éclats tranchants. Pareils aux grains de sable qui, agrégés les uns aux autres, sont emportés par le flux du mouvement qui les précipite vers leur destin commun auquel nul n’échappera, ces hommes et femmes sont un peu nos répliques, nos clones, les « précipités » de nos existences qui déposent leurs marques (qui sont aussi les nôtres) dans les éprouvettes du laboratoire créé par l’auteur et le metteur en scène. Dans leur « tube à essais », la vie s’observe, à peine distanciée, mais suffisamment pour que l’on reste le spectateur et non l’acteur de cette farce tragicomique. C’est la condition pour que, accessoirement, la catharsis existe. Un travail collectif, où chacun apporte son grain de sable, et qui, mettant à l’épreuve du sensible les fragments d’existences autant disjointes que semblables, donne à voir dans un effet de kaléidoscope, la vie telle qu’elle va. Et nous, spectateurs de cette « représentation », nous nous sentons transportés par cette énergie dévorante qui nous renvoie à notre propre condition.
Yves Kafka
Article sur Comme du Sable – La Scène
En 2010, Pascale Damel-Lacombe propose à Sylvain Levey d’écrire pour huit acteurs une série de fragments aptes à être proférés dans des espaces de transit, ceux que nous empruntons pour nous rendre d’un point à un autre, ou ceux qui, à l’inverse, nous maintiennent dans une attente Deux ans plus tard, et après plusieurs résidences de travail, le plateau nu du théâtre agrémenté de rares accessoires disséminés ici et là est devenu le matériau en même temps que le réceptacle d’une écriture qui explore différentes formes de Terranee Au commencement de la fable se trouve un couple, contraint, face à la crise et au surendettement, de quitter son domicile et de fuir vers l’inconnu S’ensuit une succession d’instantanés de vie, d’histoires sans liens directs les unes avec les autres, mais qui toutes témoignent de l’instabilité de nos existences et de choix aussi mouvants que le sable qui s’écoule et file entre les doigts En état d’hypersensibilité et réceptivité, les comédiens voyagent dans les textes de l’auteur et construisent sous nos yeux les itinéraires de personnages qui, dixit Sylvain Levey, «se racontent dans l’effroi d’un constat révolté sur le monde» Le spectateur, quant à lui, est pris dans un tourbillon d’histoires, de sensations et d’images qui se télescopent, s’effacent aussi vite qu’elles sont apparues sans que jamais le puzzle ne se forme entièrement.
Article sur Comme du Sable – Le festin
Commande d’écriture à Sylvain Levey, la nouvelle création de la compagnie du Théâtre du Rivage raconte des vies qui basculent dans la précarité. La crise des subprimes et ses dramatiques conséquences raisonnent avec une cruelle acuité. Le propos est sombre mais le rythme de la pièce et l’energie des huit comédiens permettent une salutaire mise à distance. Il n’est pas besoin d’éprouver pour apprécier ! Crée à la Scène Nationale Bayonne- Sud – Aquitain, le spectacle sera repris au Théâtre National De Bordeaux dans le cadre de l’Escale du Livre avant une tournée en région.